Alors que le Gabon s’engage résolument sur la voie de la modernisation, une question cruciale demeure encore trop souvent reléguée au second plan : celle de l’archivage administratif et de la gestion de la mémoire institutionnelle. Dans un pays où les documents officiels continuent d’être stockés dans des conditions précaires, et où l’administration peine parfois à retrouver ses propres traces, le besoin de structurer un système d’archivage performant et durable se fait de plus en plus pressant.
Le bâtiment des Archives nationales, témoin silencieux de cette négligence, en est l’illustration la plus frappante. Construit dans les années 1970, il est aujourd’hui dans un état de vétusté avancée, avec des documents rongés par l’humidité, des salles sans climatisation adaptée et une absence presque totale de numérisation. Ce patrimoine documentaire, essentiel à la continuité de l’État, est en péril. Et pourtant, dans un contexte de réformes profondes, cet enjeu devrait être considéré comme une priorité nationale.
C’est dans ce climat de retard structurel que s’inscrit le lancement du programme Gabon-Digital, une initiative stratégique officiellement lancée le 5 novembre 2024 par l’ancien premier ministre de la transition, Raymond Ndong Sima. Doté d’un financement de 44 milliards FCFA, octroyé par la Banque mondiale, ce programme ambitieux vise à propulser le pays vers une administration plus performante, fluide et transparente. Il est piloté par le ministère de l’Économie numérique.
Trois axes structurent le projet : la modernisation des services publics numériques, la dématérialisation des procédures administratives, et le renforcement de l’interconnexion entre les administrations. L’objectif est clair : simplifier les démarches, améliorer la qualité du service public et faire du Gabon un hub numérique en Afrique centrale. Une ambition louable qui, toutefois, ne saurait porter ses fruits sans une base documentaire solide.
Car digitaliser sans archiver, c’est construire sans fondation. Si les données de l’État continuent d’être dispersées, non classées ou compromises par le temps, la numérisation ne fera que reproduire les dysfonctionnements existants. L’efficacité numérique passe d’abord par la conservation rigoureuse des documents, leur traçabilité, leur accessibilité, et leur sécurisation. Cela suppose une véritable politique publique de l’archivage, avec des moyens techniques, humains et juridiques, ainsi qu’un organe autonome chargé de veiller à sa mise en œuvre.
Les retards dans ce domaine expliquent en partie la lenteur des procédures, les pertes de dossiers, voire certains abus administratifs. Dans une période où le Gabon aspire à plus de transparence et d’efficacité, la réforme documentaire est indissociable de la réforme numérique. Il faut former des archivistes, rénover les infrastructures, adopter des standards nationaux de classement, et surtout considérer les archives non plus comme des « vieilleries », mais comme les fondations d’un État moderne.
À l’heure où l’administration se veut plus proche du citoyen, il est vital que chaque document produit soit conservé, accessible et traçable, dans le respect des normes internationales. Car sans mémoire administrative, il n’y a ni continuité, ni responsabilité, ni véritable gouvernance. Et sans gouvernance forte, la transformation numérique, aussi ambitieuse soit-elle, risque de rester un vœu pieux.