Au Gabon, les accidents de la route sont fréquemment attribués à l’imprudence des conducteurs. Pourtant, une autre cause, plus discrète mais tout aussi préoccupante, prend de l’ampleur : le mauvais état mécanique des véhicules. Freins défectueux, direction hasardeuse, absence d’entretien régulier… de nombreuses voitures en circulation se transforment en véritables cercueils roulants.
Entre 2015 et 2020, le pays a enregistré 10 254 accidents de la route. Ces drames ont coûté la vie à 363 personnes et fait plus de 2 000 blessés. Rien qu’en 2020, on dénombrait 3 748 accidents, contre 1 526 l’année précédente. Si les comportements à risque comme la vitesse excessive, la consommation d’alcool ou l’usage du téléphone au volant représentent près de 80 % des causes, les défaillances mécaniques gagnent du terrain dans les statistiques et les témoignages.
Des véhicules en fin de vie qui continuent de rouler
À Libreville, Franceville ou encore Mouila, il n’est pas rare de croiser des véhicules délabrés, affectés au transport urbain ou interurbain, dont certains ont plus de quinze ans de circulation. Le problème n’est pas qu’esthétique : absence de freins d’urgence, pneus lisses, clignotants inopérants, direction instable… Ces défauts sont monnaie courante, tolérés dans un environnement où la régulation semble avoir baissé les bras.
Un contrôleur technique, sous couvert d’anonymat, avoue : « Certains centres valident des voitures sans même les voir. Il suffit de bien connaître quelqu’un ou de glisser un billet ». Des accusations graves, mais confirmées par de nombreux chauffeurs de taxi et propriétaires de véhicules, qui dénoncent un système « corrompu et inefficace ».
Une expression qui en dit long
Dans les transports en commun, une phrase revient souvent : « Ouvrez par dehors ». Traduction ? La poignée intérieure de la portière est cassée, parfois depuis des mois, sans jamais avoir été réparée. Au-delà du clin d’œil linguistique, ce détail témoigne d’une négligence mécanique généralisée. Que se passerait-il en cas d’accident ? Comment s’échapper d’un véhicule si les portes ne peuvent être ouvertes que de l’extérieur ?
Le Gabon dispose bel et bien d’une obligation de contrôle technique. Mais sur le terrain, ce principe se heurte à une réalité préoccupante : inspections bâclées, corruption, manque d’équipements, absence de sanctions dissuasives. Ce dispositif, censé garantir la sécurité des usagers, s’est transformé pour certains en une simple formalité administrative, réduite à un bout de papier à obtenir à tout prix, peu importe les moyens.
Face à la recrudescence des accidents, les autorités ont récemment multiplié les campagnes de sensibilisation, notamment à travers la Journée nationale de la sécurité routière. Mais pour être efficace, cette démarche doit aussi inclure un volet strict sur l’état des véhicules : mettre fin à la complaisance, renforcer les contrôles sur le terrain, sanctionner les centres défaillants, et surtout, instaurer une culture de la prévention mécanique chez les conducteurs.
Car sur la route, une seule panne peut faire basculer des vies. Et tant que l’on continuera de dire aux passagers « ouvrez par dehors », c’est tout le système de sécurité routière qui restera bloqué… de l’intérieur.