À l’heure où la mondialisation accélère les échanges, gomme les frontières et uniformise les comportements, une question s’impose : le Gabon est-il encore maître de son identité culturelle ou devient-il peu à peu une éponge, absorbant tout ce qui vient d’ailleurs, sans filtre ni recul ?
Aujourd’hui, internet est roi. YouTube, TikTok, Instagram, Netflix : autant de vitrines ouvertes sur le monde qui influencent, chaque jour un peu plus, nos façons de penser, de parler, de manger, de nous habiller, et même… de nous marier. Face à cette déferlante d’images et de références venues d’ailleurs, parfois de très près, comme du Nigeria ou de la Côte d’Ivoire, le Gabon suit-il encore ses propres codes culturels ? Ou se contente-t-il de reproduire ce qui lui semble « tendance » ?
Des mariages sans racines ?
Il fut un temps où chaque mariage au Gabon était l’expression de la richesse des us et coutumes propres aux différentes ethnies : Fang, Punu, Nzebi, Téké, et bien d’autres. Aujourd’hui, cette singularité semble s’effacer progressivement. Les cérémonies, très exposées sur les réseaux sociaux, laissent souvent place à des choix esthétiques venus d’ailleurs.
Le marié peut s’afficher vêtu à la nigériane, dans une imposante tenue brodée, tandis que la mariée adopte un style ivoirien, mêlant perles, tissus chatoyants et danses d’inspiration étrangère. Les symboles locaux, eux, sont relégués au second plan. Les tenues traditionnelles propres à nos ethnies, les chants rituels, les danses d’accueil et les rites d’union spécifiques à chaque peuple sont de moins en moins visibles. Pour certains, « ce qui vient d’ailleurs fait plus chic », « plus moderne », ou « plus Instagrammable » déclare A.JM, une internaute.
Des mots qui nous échappent
La langue n’échappe pas à cette transformation. Elle en est même l’un des premiers indicateurs. Il suffit de tendre l’oreille dans un groupe de jeunes ou de lire les menus de certains restaurants pour constater la disparition progressive d’expressions typiquement gabonaises.
Le mot « beignet », courant au Gabon, est peu à peu remplacé par le terme ivoirien « aloco ». Les expressions « champion, faut sciencer hein », « c’est gâté », « c’est doux », ou encore « yafoy » ont traversé les frontières et se sont installées dans le parler quotidien, notamment chez les jeunes. Un phénomène linguistique qui séduit par son énergie, mais qui pose une question : que devient notre propre manière de parler ? Les mots de nos grands-parents, les expressions héritées du terroir, sont-ils en train de disparaître à leur tour ?
Une culture en sursis ?
Ce mimétisme culturel touche tous les pans du quotidien. Après les habits, les mots, les mariages… que restera-t-il demain de nos chants, nos contes, nos mythes, nos rites initiatiques ?. « Au début on se dit que c’est la mondialisation mais après quand on se rend compte que des gens négligent notre culture au profit de celle des autres, on se rend compte que c’est beaucoup plus grave que ça. Après le danger vient peut-être du fait que le transmission se fait de manière orale et donc entre les transmissions de nombreux changements se font », indique A.T, un sociologue. Seront-ils encore transmis dans une ou deux générations, ou seront-ils noyés dans une culture de consommation uniforme, globalisée et sans racines ?
Car copier un autre, ce n’est pas toujours s’élever. C’est parfois s’effacer. Le Gabon est-il en train de se perdre dans le miroir des autres peuples africains ? Est-il encore possible de s’ouvrir au monde sans se dissoudre dans lui ? Peut-on aimer le Nigeria sans oublier le Bwiti ? Danser sur du coupé-décalé sans négliger le Mvett ? S’inspirer d’Abidjan tout en valorisant Oyem ou Mouila ?
Il ne s’agit pas ici de rejeter l’extérieur. Le monde bouge, les cultures dialoguent, se croisent, s’enrichissent mutuellement. Mais il existe une nuance entre ouverture et abdication. Entre influence et effacement. Le danger n’est pas dans la nouveauté, mais dans l’oubli.
Alors que voulons-nous réellement ? Devenir un peuple caméléon, changeant de peau à chaque tendance, au gré des likes et des partages ? Ou affirmer, dans ce monde mouvant, notre identité, nos valeurs, nos racines, tout en nous inspirant du meilleur d’ailleurs ? Le Gabon est-il une éponge culturelle ? Ou simplement un peuple en quête de repères, dans un monde où l’apparence et le buzz semblent parfois valoir plus que la tradition et l’héritage ?