Avec l’essor des réseaux sociaux, la violence juvénile au Gabon n’est plus un phénomène invisible. Bagarres ou agressions diffusées sur les réseaux sociaux, la publication de ces méfaits révèle une réalité inquiétante : des adolescents, livrés à eux-mêmes, sombrent dans la délinquance. Pour comprendre ce phénomène, Gabon 24 s’est rendu, le 5 novembre 2025, à la Prison Centrale de Libreville, où sont incarcérés plusieurs mineurs.
Derrière les murs, le constat est sans appel. Qu’ils s’appellent Jordan, Jessica, Marie ou Paul (des prénoms d’emprunt pour garantir leur anonymat), leurs parcours sont tragiquement similaires : un manque criant d’accompagnement parental, une précarité écrasante et l’influence néfaste des « mauvaises compagnies ».
Âgés de 15 à 19 ans, ils sont incarcérés pour non-assistance à personne en danger, bagarres, viols, braquages ou homicides. Des actes dont ils ont appris, avec le temps, à mesurer la gravité. De la bagarre au braquage, ces jeunes gabonais racontent la spirale qui les a conduits derrière les barreaux.
De la bagarre à la Prison
Pour beaucoup de jeunes filles rencontrées, l’incarcération est la conséquence directe d’une violence banalisée, filmée et diffusée sur les réseaux sociaux.
Marina, 19 ans, est détenue depuis un mois et demi pour « non-assistance à personne en danger ». Son crime : avoir filmé et diffusé en ligne une bagarre dans son établissement, au lieu de la séparer. « Je regrette mon acte et je ne pensais pas que cela allait me conduire en prison », confie-t-elle, avant de lancer un appel : « Je veux dire à mes frères qui sont dehors de rester tranquilles, car la prison n’est pas un endroit pour les jeunes ».
De son côté, Solange, âgée de 16 ans, est en prison depuis avril dernier pour une bagarre de quartier. Le motif : sa voisine, qui était la maîtresse de son père, l’a injuriée publiquement après que Solange l’a dénoncée à sa mère. « Quand elle m’a insulté, j’ai juste pensé à me battre », dit-elle, avant d’ajouter : « Sans faire exprès, tu peux tuer quelqu’un si tu ne maîtrises pas ta colère. Si c’était à refaire, je porterais plainte ».
Même son de cloche pour Isabelle, 17 ans, élève en 1ère. Elle est en prison pour s’être battue avec une camarade qui insultait son père décédé. « Mes copines m’ont dit que le respect s’impose », explique-t-elle pour justifier sa réaction. Elle décrit un lycée où « on se bat pour imposer le respect et pour un rien » et avoue avoir elle-même déjà posté des vidéos de bagarres. « Je l’ai jeté dans l’herbe et je l’ai étranglé. […] Si c’était à refaire, je n’allais pas le faire, car la violence ne résout aucun problème », confie-t-elle.
Des « mauvaises pensées » au crime
Chez les garçons, les récits décrivent une spirale infernale où la drogue et le besoin de reconnaissance mènent au pire.
Jack, 17 ans, est incarcéré depuis 21 mois. « Mal accompagné » par ses grands frères, il a plongé : vol, alcool, cigarette, puis braquage. « C’est mon voisin plus âgé qui m’a fait consommer des drogues pour la première fois », raconte-t-il. Arrêté après avoir braqué une dame et sa fille à l’arme blanche, il est aujourd’hui seul face à sa conscience : « La prison, ce n’est pas un lieu pour les jeunes, car on est loin de tout. Le temps passé ici m’a fait grandir […] Aux parents, il faut éduquer vos enfants, car il est inconcevable qu’un enfant de 15 ans traîne avec des fumeurs ».
Arrivé à 14 ans pour viol avec violence et aujourdhui agé de 16 ans, Jacob explique avoir été influencé « par les films pornographiques que ses amis et lui regardaient ». Il a agressé la gérante d’un snack-bar en la menaçant avec une bouteille cassée. « Après avoir terminé, je suis rentré chez-moi et j’ai pris conscience de mon acte, et c’est à cause de ça que je n’ai pas fui », avoue le jeune homme.
Le témoignage le plus sombre est peut-être celui de Paul, 17 ans, incarcéré depuis 14 mois. Consommateur de stupéfiants (« kobolo », « kéméka »), il a frappé une fille. Le coup, porté à l’œsophage, a déclenché une « crise d’épilepsie, ensuite elle est décédée », affirme-t-il. Il retrace son histoire : la séparation de ses parents, un père violent qu’il n’a plus revu et le désir de « venger sa mère ». Son analyse est sans concession : « J’accuse les mauvaises compagnies et la mauvaise éducation. La plupart des jeunes le font à cause du suivisme et l’absence des parents. […] La violence a deux chemins : la mort ou la prison ».
Le temps du regret
De Jacob, 16 ans, arrivé à 14 ans pour viol, qui veut « retourner à l’école et décrocher [son] BAC », à Solange, 16 ans, incarcérée pour une bagarre qui a dégénéré, le message est unanime. Tous souhaitent reprendre leurs études, apprendre un métier, comme Paul qui s’est mis à la menuiserie en détention, et avertir ceux qui sont encore dehors.
« Quand je suis arrivé ici, je me suis senti très mal », affirme Solange, qui renchérit : « À cause d’une bagarre de quartier, je me suis retrouvée en prison. Je dis aux jeunes de ne pas se battre et d’aller vers les autorités ou les parents. La violence n’est pas la solution ».
Ces récits dressent le portrait sombre d’une jeunesse délaissée, prise au piège entre la misère sociale, l’effondrement des structures familiales et l’illusion d’une reconnaissance acquise par la violence. Derrière les barreaux, l’heure est à la prise de conscience et les regrets se mêlent à l’espoir d’une seconde chance, mais pour tous, le chemin vers la rédemption reste long et incertain.

