Au-delà des discours sur la “jeunesse moteur du développement”, la réalité des salles de classe raconte une autre histoire : celle de milliers d’élèves qui disparaissent du système éducatif sans bruit. Faute de données fiables, de politique cohérente et de suivi social, le décrochage scolaire progresse, transformant un problème éducatif en véritable enjeu national.
Longtemps résumé à quelques cas isolés, l’abandon scolaire touche aujourd’hui toutes les couches sociales, surtout dans les zones rurales et les familles modestes. Malgré les annonces de réformes, les établissements constatent une hémorragie silencieuse, alimentée par la pauvreté, le manque de suivi, les retards pédagogiques, l’absence de soutien psychologique, les violences scolaires ou le désintérêt des élèves pour un système jugé inadapté.
« Les enfants issus de familles modestes sont souvent confrontés à des obstacles que l’école ne compense pas, comme le manque de fournitures, le transport difficile ou l’absence de soutien à la maison », explique Dr. Alain Moussavou, sociologue. Avant de poursuivre. « Sans accompagnement personnalisé, ils peuvent se sentir rapidement perdus et décrochent silencieusement ».
Le décrochage n’est pas seulement lié aux conditions matérielles : le système éducatif lui-même pourrait contribuer au problème. Retards pédagogiques, programmes inadaptés aux réalités locales et manque de formation continue des enseignants sont autant de facteurs aggravants. Pour Sandra Ekobo, professeur au CES de Mindoubé, « on demande aux enseignants de réussir là où les moyens manquent. Résultat : les élèves en difficulté sont laissés pour compte, et le décrochage s’accélère. ».
Les adolescentes sont particulièrement vulnérables. Grossesses précoces, charges domestiques et mariages précoces entraînent souvent une rupture définitive avec l’école. « Une fois qu’une jeune fille quitte la classe pour ces raisons, il est très difficile de la faire revenir », ajoute Dr Alain Moussavou, « Cela accentue les inégalités et prive le pays de talents indispensables à son développement ».
Selon l’économiste Steven Biyambou, le décrochage a un coût économique énorme. « Un élève perdu aujourd’hui, c’est un adulte moins qualifié demain, donc une productivité affaiblie et un marché du travail moins compétitif ». Pour les experts , il s’agit d’une bombe à retardement. Sans action publique forte, le pays risque de se retrouver avec une génération partiellement sacrifiée.
La lutte contre l’abandon scolaire nécessite un changement de paradigme, détecter les difficultés dès le primaire, renforcer le suivi individuel, impliquer les parents, mieux former les enseignants, créer un lien concret entre école et marché de l’emploi, valoriser les filières techniques et professionnelles.
La priorité est aussi culturelle : redonner du sens à l’école. Tant que les jeunes ne percevront pas l’éducation comme un levier de réussite et de dignité, ils continueront à décrocher, dans l’indifférence générale.
Mettre fin au décrochage scolaire ne relève pas d’un slogan mais d’un choix de société. Redonner du sens à l’école, c’est garantir que chaque enfant, quelle que soit sa condition, puisse s’y sentir attendu, soutenu et utile. À défaut, la nation poursuivra son développement avec une partie de sa jeunesse laissée au bord du chemin invisible.

