Dans les ruelles de certains quartiers populaires de Libreville, des adolescents traînent, le regard dur, les gestes nerveux. Derrière cette désinvolture apparente, se cache souvent une réalité familiale complexe : celle d’un foyer monoparental, dirigé dans la plupart du temps par une mère seule, tentant tant bien que mal de subvenir aux besoins de ses enfants. Une situation qui, dans certains cas, ouvre la voie à la dérive, à la violence, et même au trafic de stupéfiants.
Selon les données du ministère des Affaires sociales, près d’un ménage sur trois au Gabon serait aujourd’hui monoparental, « principalement à la suite de séparations, de divorces ou d’abandons ». Dans la majorité des cas, ce sont les femmes qui assument seules la charge des enfants, souvent dans des conditions économiques précaires.
Abandon du père, décès ou séparation, les causes varient, mais les conséquences restent les mêmes. Faute de moyens, certaines mères peinent à encadrer leurs enfants, débordées par le poids des charges quotidiennes et le manque de soutien social.
« Je sors de la maison à 5 heures du matin pour vendre au marché et je rentre tard le soir. Pendant ce temps, je ne sais pas toujours où sont mes enfants », confie Clarisse, mère célibataire de trois garçons. Cette absence prolongée laisse un vide éducatif. Et dans les quartiers défavorisés, la rue devient rapidement une école de substitution.
Livrés à eux-mêmes, certains adolescents finissent par s’intégrer dans des groupes de jeunes plus âgés, déjà familiers avec les petits trafics ou les actes de délinquance.
À force d’observer et d’imiter, ils se laissent happer par un cercle de survie où la violence devient un moyen d’expression, et la vente de stupéfiants, une source de revenu. « J’ai commencé à vendre le cannabis pour aider ma mère à payer le loyer et la nourriture », raconte un jeune de 17 ans, sous anonymat, avant de poursuivre, « Je ne voulais pas faire ce genre de chose, mais c’était la seule solution que j’avais trouvée pour subvenir aux besoins de mes petits frères ».
Son histoire, malheureusement, n’est pas isolée. Les services sociaux signalent une hausse du nombre de mineurs impliqués dans les trafics urbains, souvent motivés par la nécessité d’aider leur famille monoparentale.
Les psychologues sont formels : l’absence d’une figure paternelle stable joue un rôle déterminant dans la construction de l’identité masculine. Sans modèle d’autorité, certains jeunes recherchent la reconnaissance auprès de figures de rue, chefs de bande, aînés délinquants qui deviennent des substituts paternels.
« Le jeune n’obéit plus à la loi de la maison, mais à celle du groupe », explique le psychologue Jean-René Mbadinga. « Dans la rue, il apprend que la force, la provocation ou la peur des autres deviennent des moyens de s’imposer », ajoute-t-il.
Si la monoparentalité est un facteur aggravant, elle n’est pas seule en cause. Le manque d’encadrement social, la pauvreté et l’absence de dispositifs d’accompagnement pour les familles monoparentales renforcent cette vulnérabilité.
Face à ce constat, des ONG comme Main Tendue ou Éduquer pour Demain militent pour un soutien psychologique et éducatif renforcé des familles monoparentales.
Des initiatives communautaires comme des clubs de jeunes, mentorat, activités sportives permettent à certains enfants de retrouver une stabilité et une figure d’autorité positive.
Mais le problème dépasse la sphère familiale. Il interroge le rôle de l’école, des services sociaux, de la communauté et pourquoi pas le ministère de la famille, dans l’accompagnement des enfants fragiles.
Lorsqu’une femme se bat seule pour nourrir et éduquer ses enfants, sans aide ni encadrement, les risques de dérive augmentent. Prévenir la violence des jeunes, c’est d’abord accompagner les familles fragiles, redonner une place à la parentalité partagée et réhabiliter les valeurs éducatives dans la société.
La monoparentalité n’est pas une fatalité, mais sans soutien social et éducatif adapté, elle peut devenir une poudrière silencieuse. Prévenir la dérive des enfants, c’est reconstruire autour d’eux un réseau d’attention, d’écoute et d’autorité bienveillante. Car pour éduquer un enfant, dit un proverbe africain, « il faut tout un village ».

