Le Gabon, pays riche en ressources naturelles, fait face à une crise silencieuse, mais dévastatrice pour son capital humain, l’emprise du népotisme et du favoritisme qui musèlent l’avenir de sa jeunesse. Malgré un taux de chômage des jeunes frôlant les 35%, selon de récentes estimations, l’accès aux postes clés, aux formations de qualité et aux opportunités d’entrepreneuriat reste largement tributaire des liens familiaux et des réseaux personnels, plutôt que du mérite ou de la compétence.
Dans l’administration publique comme dans de nombreux pans du secteur privé, une réalité amère s’impose, le diplôme et l’excellence académique ne suffirait plus. Les jeunes Gabonais diplômés, souvent bardés de compétences acquises au prix de lourds sacrifices, se heurtent à un mur de verre. Les postes sont fréquemment pourvus par cooptation ou désignation discrétionnaire, favorisant les « fils de » et les proches du sérail au détriment des plus qualifiés.
« Nous avons beau faire des études, obtenir de bonnes notes, quand on ne connaît personne, on reste sur le carreau. C’est décourageant », confie Marie, titulaire d’un Master en Droit. Cette culture du passe-droit nourrit un sentiment d’injustice profond et de désespoir au sein de la jeunesse, pourtant majoritaire. Elle mine l’idée même d’une méritocratie et encourage le cynisme, la démotivation et, dans certains cas, l’exil des meilleurs éléments vers des horizons plus justes.
« On me dit que je suis compétent mais que je n’ai pas les bonnes connaissances », a indiqué Eric, diplômé en banque et assurance. Après avoir postulé à plusieurs offres d’emploi dans des banques et entreprises de la place, sans succès, selon lui les responsables reconnaissaient ses compétences mais disaient déjà avoir quelqu’un d’autre sous la main pour le poste.
Pour Jean-Didier Nziengui, sociologue, ce phénomène est symptomatique d’une fracture sociale. « Le népotisme et le favoritisme limitent l’accès des jeunes diplômés sans réseau. Cela favorise l’entre-soi, crée des frustrations et renforce l’idée que le mérite individuel n’a pas de valeur dans notre société », a-t-il indiqué.
Le poids du favoritisme dépasse le cadre professionnel. Pour beaucoup, cela engendre une perte de confiance en soi, un sentiment d’injustice et parfois même le découragement de continuer à se former. « Après plusieurs refus, je me demande parfois si mes efforts ont un sens. On m’a dit : tu as le diplôme, mais tu n’as pas les contacts. Ça fait mal », a martelé Francisca Ndongo, ingénieure.
Si certains défendent ces pratiques comme des moyens de protéger des entreprises familiales ou de renoncer à la solidarité communautaire, d’autres y voient un frein au développement économique et social. « Le problème n’est pas l’entraide familiale mais le verrouillage des postes publics et privés qui devrait être ouvert à tous », insiste le sociologue Nziengui.
Par ailleurs, quelques programmes gouvernementaux et initiatives privées tentent de promouvoir le recrutement basé sur le mérite et la transparence. Mais ces actions restent parfois marginales face à l’ampleur du phénomène. Les experts appellent à renforcer les dispositifs de contrôle et à sensibiliser les entreprises et administrations sur les effets négatifs du favoritisme sur la société et sur la compétitivité nationale.
Le népotisme et le favoritisme ne sont pas seulement des problèmes individuels. Ils affectent l’économie, la confiance dans les institutions et la cohésion sociale. Chaque poste verrouillé par le réseau au détriment du mérite prive le Gabon de talents capables de contribuer au développement du pays.
Pour que le Gabon avance, il faudra un véritable engagement envers la transparence, l’équité et la valorisation du mérite, permettant aux compétences et aux efforts de l’emporter enfin sur la simple appartenance à un réseau.

									 
					
					