Dans un marché du travail où l’accès à l’emploi devient de plus en plus compétitif, le stage pré-emploi ou le stage école sont souvent présentés comme une étape nécessaire pour acquérir de l’expérience professionnelle et faciliter l’insertion dans le monde professionnel. Pourtant, au Gabon, dans la pratique, ce dispositif souffre de paradoxes et d’ambiguïtés qui, loin de l’aider véritablement, peuvent renforcer des barrières à l’emploi.
À l’origine, le stage est conçu pour permettre à un jeune, souvent étudiant ou récemment diplômé, de mettre en pratique ses connaissances théoriques, d’apprendre dans un environnement professionnel réel et d’acquérir ses premières compétences concrètes sur le terrain. Cette première immersion donne au stagiaire une meilleure compréhension des attentes du monde du travail et peut fortement améliorer son employabilité.
Pour beaucoup, un bon stage peut servir de passerelle vers une embauche, constituer une première expérience valorisable sur un CV et offrir des contacts utiles pour trouver un emploi stable. « Sans stage, on ne te prend même pas en entretien. C’est souvent la seule chance d’avoir une première expérience », témoigne Kevin Ndombi, diplômé en banque et assurance.
Dans certains cas, ces stages débouchent sur des contrats ou facilitent l’insertion professionnelle, notamment dans le secteur privé. Mais sur le terrain, la réalité est parfois moins reluisante. De nombreux stagiaires travaillent à temps plein, et assument des responsabilités comparables à celles des employés, sans percevoir la moindre rémunération ni bénéficier de protection sociale. « Je travaille de 8h à 17h comme tout le monde, mais je ne touche rien. Même le transport est à ma charge », confie Sandra, stagiaire dans une structure de communication à Libreville.
L’absence d’un cadre juridique strict sur les stages favorise les abus. La durée des stages est parfois prolongée indéfiniment, sans perspective d’embauche. Pour Martial Allogho Ndong, juriste du droit du travail, « lorsqu’un stagiaire remplit les mêmes missions qu’un salarié, la frontière entre formation et exploitation devient très mince ».
Du côté des employeurs, certains reconnaissent les dérives, mais invoquent leurs contraintes financières. « Toutes les entreprises n’ont pas les moyens de payer des stagiaires. Le stage reste avant tout une période d’apprentissage », explique Pierre Mombo, un responsable des ressources humaines de PME.
Cependant, la réalité est souvent moins idyllique. Dans plusieurs secteurs, on constate désormais des annonces de stages exigeant plusieurs années d’expérience, ce qui va à l’encontre de l’esprit même du stage, censé être une première introduction dans la vie professionnelle, pas une « répétition » d’un emploi qualifié.
Les recruteurs justifient souvent ces exigences en invoquant une pression sur la productivité, la complexité des tâches ou la réduction des coûts de formation interne. Mais cela finit par créer une situation où les étudiants ne trouvent pas de stage, les jeunes sans expérience ne peuvent progresser, et les entreprises passent à côté de talents formables. Fridolin Mezui, sociologue, affirme que « cette pratique dénature le rôle du stage et contribue à l’augmentation du chômage des jeunes diplômés, car ceux-ci peinent à obtenir une première expérience significative sans déjà l’avoir, un cercle vicieux ».
Selon le Code du travail gabonais (loi n°022/2021 du 19 novembre 2021), un stagiaire est principalement défini comme : un élève d’une école technique, professionnelle ou d’une grande école spécialisée placé en entreprise pour consolider ses connaissances pratiques ; un élève ou étudiant souhaitant bénéficier d’une expérience professionnelle en dehors d’un cursus de validation de diplôme, dans la limite maximale de trois mois pendant les vacances scolaires.
Cela signifie que juridiquement, le stage est avant tout une situation d’apprentissage, pas un emploi salarié. Le droit gabonais fixe clairement des limites de durée en fonction du statut du stagiaire. Pour les étudiants/élèves dans le cadre scolaire, le stage doit être encadré par une convention de stage et ne peut dépasser trois mois pendant les vacances scolaires.
Le stage, lorsqu’il est bien encadré, reste un outil puissant pour faciliter l’insertion professionnelle. Il permet d’acquérir des compétences concrètes, d’ancrer des connaissances et de bâtir un réseau professionnel. Mais pour rester fidèle à son rôle, il doit être respecté dans son cadre légal (durée, protection sociale, convention) ; utilisé pour sa finalité pédagogique, et non comme un substitut à un emploi ; exempt d’exigences d’expérience qui contredisent son objectif d’accès à l’expérience.
Pour les jeunes et les décideurs, étudiants, écoles, entreprises et pouvoirs publics, il est aujourd’hui crucial de réconcilier l’esprit de la loi avec les pratiques du marché du travail, afin que le stage devienne réellement ce tremplin professionnel tant attendu, plutôt qu’une source de frustration ou de dérive du système.

