Dans les us et coutumes de la société gabonaise, où l’héritage familial et la procréation sont au cœur de l’identité sociale, une personne sans enfant est souvent considérée comme un marginal. Entre regards accusateurs, solitude affective et rejet implicite, de nombreuses personnes sans descendance luttent pour conserver leur place dans une communauté qui fait de la transmission une priorité.
Pour de nombreuses sociétés africaines, les enfants constituent le socle même de l’existence et de la pérennité familiale. Ils sont perçus comme une source de bénédiction, un gage de réussite, mais aussi une assurance pour l’avenir de leurs géniteurs. « Ne pas avoir eu d’enfants est une douleur. C’est une sensation de vide et un manque d’attachement familial », a déclaré Madeleine, pensionnaire depuis plus de dix ans au Centre de gérontologie-gériatrie (CNGG) de l’hôpital de Melen.
Ce qui est encore plus douloureux dans cette situation est le regard des autres. « J’admets avoir vécu des conflits internes face au regard de la société. J’ai parfois ressenti le poids du jugement parce que je suis une personne sans enfants, ce qui ajoutait à ma souffrance et à ma solitude », a-t-elle confié. Les critiques de l’entourage et les conversations indiscrètes sont souvent à l’origine de polémiques, car traditionnellement, la valeur d’une femme est parfois mesurée à sa capacité à porter la vie, et celle d’un homme à sa capacité à fonder une famille.
Madeleine avoue avec pudeur que si le fait de ne pas vieillir avec une descendance a longtemps été un sujet de mal-être, elle a pu, dans son malheur, jouir d’une certaine forme de liberté. Elle nuance cependant : « Les sentiments que j’exprime le plus souvent sont la solitude et le regret. Parfois, il y a une certaine forme de liberté… mais la tristesse de ne pas avoir eu d’enfants pèse beaucoup ».
Ce manque d’attachement familial devient encore plus poignant lors des périodes de fêtes ou de vacances. « Le sentiment d’invisibilisation familiale est souvent plus prononcé. Je me sens laissée pour compte, comme si j’étais moins visible aux yeux de ma famille », poursuit Madeleine. Son témoignage est corroboré par Mouvangui Paulette Marcelle, cheffe du service de Gérontologie, qui observe ce phénomène au quotidien chez les résidents.
La stérilité a longtemps été stigmatisée, parfois considérée comme une forme de malédiction ou une punition divine. « Nous sommes avant tout des Bantous, et dans nos traditions, lorsque tu n’as pas de descendance, tu es laissé pour compte. Après ta mort, ton passage sur terre sera quasi inexistant parce qu’il n’y aura personne pour pérenniser tes œuvres et faire vivre ta mémoire. Ton existence prendra fin après ta mort », a révélé Pa’a Kombé, traditionaliste. Pour certaines croyances, l’absence de progéniture est synonyme d’existence inachevée, même sur le plan spirituel. En ville comme au village, les jugements vont bon train et les étiquettes sont vite distribuées.
Le quotidien des personnes n’ayant pas eu d’enfants est souvent difficile, et beaucoup affrontent la vieillesse dans l’isolement. Les dispositifs publics de soutien aux personnes âgées sont rares et manquent cruellement de moyens pour mener à bien leurs missions. Autrefois, la vie communautaire était au centre de tout, mais avec l’arrivée de la mondialisation et de nouveaux modes de vie, la société s’est métamorphosée. Désormais, il semble que seuls ceux qui se seront assurés une progéniture pourront jouir sereinement de leurs vieux jours.
Au Gabon, vivre sans enfants reste un sujet douloureux et rarement abordé de front. Dans une société où l’enfant est roi, celles et ceux qui n’en ont pas sont souvent réduits au silence, à la honte ou à l’oubli. Il est donc impératif de multiplier les structures d’accueil sur toute l’étendue du territoire afin d’assurer à ces aînés une fin de vie calme et digne.

