Depuis quelques années, une inquiétante dérive gagne les rues du Gabon : de plus en plus de jeunes hommes délaissent la discussion et même les simples affrontements à mains nues pour recourir systématiquement à des objets tranchants. Dans les quartiers, une querelle banale peut désormais virer au drame. Un phénomène qui interroge et alarme, tant il traduit une banalisation de la violence et une perte de repères sociaux.
Au Gabon, les tensions du quotidien prennent un tournant de plus en plus dangereux. Ce qui n’était autrefois qu’une dispute verbale ou une rixe sans gravité se transforme aujourd’hui en véritable menace pour la vie. Dans plusieurs quartiers du Grand Libreville, tout comme dans l’intérieur du pays, un comportement préoccupant s’installe : de jeunes hommes n’hésitent plus à sortir couteaux, tessons de bouteille, machettes ou autres objets tranchants dès qu’un désaccord survient.
« Je vais te poignarder »,« je vais te faire du mal », des phrases devenues tristement célèbres, prononcées avec une désinvolture qui interroge. À croire que pour beaucoup de ces jeunes, la vue du sang ne semble plus susciter ni peur ni retenue. Ils affirment vouloir, par ces actes, « rétablir le respect » ou « se faire craindre », comme si la violence extrême était devenue la seule manière de s’imposer.« Moi, je n’ai peur de personne, on meurt, on meurt si tu te mets mal, je te fais du mal» a déclaré Zépèke
Ce phénomène, selon les experts, est alimenté par un mélange complexe : désœuvrement, influence des réseaux sociaux, frustrations économiques, absence de repères familiaux, mais aussi une justice perçue comme trop lente ou inefficace.« Les jeunes utilisent davantage les armes blanches parce que la violence spectaculaire diffusée sur les réseaux sociaux et les films d’arts martiaux, très consommés par les jeunes, valorise aussi l’idée d’un combat impressionnant et héroïque », a révélé Francky-Thiburse Mapenda diplômé en sociologie (UOB) et enseignement spécialisé (ENS).
Certains jeunes, livrés à eux-mêmes, trouvent dans la menace armée un moyen d’exister ou de se défendre dans un environnement qu’ils jugent hostile.« Le manque d’espaces communautaires encadrés, comme les clubs de sport ou les associations, ne permet pas aux jeunes d’apprendre la maîtrise de soi ni la résolution pacifique des conflits. Sans ces repères, les modèles violents dominent et encouragent des comportements plus dangereux.», a renchéri l’expert.
Les conséquences sont lourdes. Blessures graves, traumatismes, insécurité croissante et parfois des meurtres dans les quartiers. Les parents s’inquiètent, les enseignants alertent, les médias de toutes sortes s’indignent, les autorités tentent de réagir, mais la tendance persiste. Face à cette banalisation de l’agressivité, il est plus que temps que l’accent soit davantage mit sur la sensibilisation, l’implication des communautés, l’encadrement des jeunes, et surtout le rétablissement d’un dialogue social aujourd’hui « Pour moi, tout cela est dû au chômage et à l’oisiveté, qui sont en train de détruire notre jeunesse. Les jeunes se retrouvent obligés de consommer des substances qui altèrent leur comportement », a révélé Pascaline Inanga mère de famille
Car si la violence s’installe, c’est avant tout parce que le lien social se délite. Redonner aux jeunes des espaces d’expression, d’écoute et d’espoir apparaît désormais indispensable pour enrayer ce cycle où une simple dispute peut coûter une vie.

