Avec la montée en puissance du télétravail, où la performance professionnelle est érigée en norme, de plus en plus de travailleurs prolongent leur journée bien au-delà des murs du bureau. Cette intrusion du travail dans la sphère privée brouille les repères, fragilise les liens familiaux et pèse lourdement sur la santé mentale. Ce qui était autrefois un havre de paix s’est mué en un lieu de fatigue insidieuse.
Dans la société gabonaise, où la performance est devenue un étendard, le travail s’apparente parfois à une boucle sans fin. « Il faut le dire franchement : le travail déborde. Ce n’est pas qu’une question d’organisation personnelle. C’est le reflet d’un système qui valorise la performance continue, la disponibilité sans faille, au détriment de la vie privée », affirme Francky Thiburse Mapenda, sociologue et conseiller d’orientation-psychologue.
Autrefois espace de déconnexion, la maison devient peu à peu le prolongement du bureau. « Aujourd’hui, le foyer n’est plus un sanctuaire. Ce lieu autrefois consacré à la famille, au repos et à la déconnexion devient le prolongement du bureau », souligne-t-il. Ce glissement des responsabilités professionnelles dans la sphère domestique brouille les frontières entre vie personnelle et vie professionnelle, mettant en péril l’équilibre familial et la santé mentale.
Grâce aux nouvelles technologies, le travail est désormais accessible à tout moment, en tout lieu. Cette disponibilité permanente crée une pression implicite et transforme les habitudes. « Pour beaucoup de parents, la journée de travail ne s’arrête plus en quittant l’entreprise ou l’administration. Elle continue, insidieusement, à la maison », déplore le sociologue. Répondre aux courriels ou traiter des dossiers en dehors des heures de bureau devient une norme dans de nombreux secteurs. L’hyperconnexion, loin d’être une exception, s’installe comme un mode de fonctionnement courant.
Mais cette invasion du travail à domicile n’est pas sans conséquences. « Ce que l’on perd dans ce mode de vie, ce n’est pas seulement du temps. Ce sont des échanges, des rires, des discussions, des silences partagés. Ce sont ces instants du quotidien qui tissent les liens familiaux », alerte l’expert. Les moments passés en famille se réduisent, les instants de qualité se font rares, et les tensions émergent. Les enfants, se sentant négligés, réclament davantage d’attention, tandis que le conjoint peut éprouver un sentiment d’abandon ou d’incompréhension.
Face à ce constat préoccupant, il devient urgent que des voix s’élèvent pour réclamer une régulation plus stricte du temps de travail. « Mettre en lumière ce phénomène, c’est aussi appeler à l’action : les entreprises doivent respecter les temps de repos », plaide Francky Thiburse Mapenda. Il recommande l’instauration de chartes limitant les échanges professionnels hors des horaires de travail, ainsi que des formations pour aider les salariés à mieux gérer leurs frontières professionnelles.
Cependant, le changement ne doit pas venir uniquement des institutions. « Il est temps de poser des limites. Il ne s’agit pas de blâmer les parents, mais de questionner un système qui impose la connexion permanente comme une norme. Il est urgent de redéfinir la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle », insiste-t-il. Chacun doit apprendre à se fixer des limites : éteindre les notifications, planifier des moments exclusivement familiaux, et surtout, s’accorder du temps pour soi.
La maison ne doit en aucun cas devenir un second bureau. Il est impératif de redéfinir notre rapport au travail et de réaffirmer la valeur du temps personnel. « Le travail a sa place, mais il ne doit pas prendre toute la place. La vie de famille mérite mieux qu’un parent épuisé, l’ordinateur sur les genoux, le regard ailleurs », conclut-il. Car si la performance professionnelle est un moteur, l’équilibre de vie en est le carburant. Sans lui, c’est toute la mécanique qui s’enraye.