Le gouvernement introduira dès 2026 une taxe d’habitation prélevée directement sur les factures d’électricité. Officiellement, il s’agit de moderniser la collecte, d’élargir les recettes et de mieux financer les collectivités locales. Officieusement, une réalité s’impose : les ménages gabonais paient déjà trop, trop souvent, trop vite. Et la coupe déborde.
L’électricité, devenue le support choisi pour cette nouvelle taxe, n’est pas un terrain neutre. C’est une zone déjà saturée de prélèvements. Chaque achat d’unités est un rappel violent de ce que coûte aujourd’hui l’accès à un service essentiel.
Un ticket EDAN en dit long : pour 60 000 FCFA dépensés par un client, il ne reste que 51 991 FCFA de consommation réelle, tandis que TVA (2 752 FCFA), CSE (2 773 FCFA), redevance mensuelle (282 FCFA), CSS (275 FCFA) et COM (1 927 FCFA) grignotent progressivement le montant payé. Solde final en unités : 452 FCFA. « On ne paye plus l’électricité, on paye un labyrinthe de taxes », s’indigne Mireille Ntsame, mère de trois enfants installée à Nzeng-Ayong.
Derrière le discours technique, modernisateur, sécurisant, une évidence demeure : l’électricité est désormais l’un des vecteurs fiscaux les plus lourds du pays. Cinq taxes s’y superposent déjà, transformant chaque règlement en casse-tête. L’arrivée d’une taxe d’habitation insérée directement sur ce support déjà congestionné crée une forme de lassitude fiscale, presque une résignation dangereuse. « Quand trop de taxes passent par un même service, ce service cesse d’être un service. Il devient un impôt camouflé », s’insurge Jérôme Mabika.
Parce que cette nouvelle taxe apparaîtra sur la facture SEEG, beaucoup y verront légitimement une augmentation du coût de l’électricité, même si ce n’est pas sa vocation. Cette confusion n’est pas un détail : elle conditionne l’acceptation ou le rejet de la mesure. Alors que l’État parle « modernisation », les ménages voient « surfacturation ». Deux langages, deux réalités. « La pédagogie fiscale se joue d’abord dans la perception, et aujourd’hui, le gouvernement a perdu la bataille de la perception », analyse le politologue Boris Pahane.
Si la taxe est forfaitaire, elle sera simple, mais profondément inégalitaire : un ménage modeste paierait autant qu’un foyer plus aisé. Si elle est proportionnelle, certains évoquent un taux possible de 9 %, elle deviendra un impôt greffé sur la consommation, pénalisant les gros consommateurs qui ne sont pas toujours les plus riches. Les familles nombreuses, les foyers serrés, les ménages dont les appareils ne sont pas économes subiront davantage qu’une personne seule vivant en centre-ville. « On ne peut pas demander à ceux qui consomment plus par nécessité de payer comme des privilégiés », martèle Marlyne Ellogho, étudiante.
Le gouvernement espère récolter 2,8 milliards de FCFA par an, investir dans les infrastructures municipales et renforcer l’autonomie financière des collectivités. Mais l’électricité reste aujourd’hui l’une des dépenses les plus douloureuses des ménages gabonais. Y ajouter une taxe, même justifiée, même utile, même indispensable, c’est intervenir sur une plaie encore ouverte. « On parle d’une taxe dans un pays où certains achètent l’électricité 3 à 4 fois par semaine pour 2 000 francs à chaque fois. Ce n’est pas une réforme neutre », rappelle Paul Ndjogho, un riverain de Mindoubé 2.
L’État promet transparence, soutenabilité et efficacité. Mais les usagers constatent surtout des factures qui augmentent, des unités qui fondent, des taxes qui s’empilent et une lisibilité quasi inexistante. Tant que la pédagogie ne sera pas claire, que les montants ne seront pas expliqués et que l’usage des fonds ne sera pas démontré, la population verra cette taxe pour ce qu’elle risque de paraître : une charge de plus, au mauvais endroit, au mauvais moment. « Les citoyens ne rejettent pas l’effort, ils rejettent l’opacité », tranche Alain Moukagni.
Jusqu’où les ménages gabonais peuvent-ils absorber ce poids fiscal ? Jusqu’où l’électricité peut-elle servir de vecteur pour chaque nouveau prélèvement ? Jusqu’où l’État peut-il compter sur un système déjà saturé pour combler ses déficits ? L’introduction de la taxe d’habitation n’est pas anodine. Elle révèle un débat plus profond : le seuil de tolérance fiscale des Gabonais est-il en train d’être dépassé ?

