Chaque mois de novembre, le Gabon comme le reste du monde s’illumine en bleu pour sensibiliser sur les cancers masculins. Pourtant, malgré les campagnes d’information, la fréquentation des centres de dépistage reste faible. En cause, la pudeur masculine, ce mélange de peur, de fierté et de silence qui empêche encore beaucoup d’hommes de se faire consulter à temps.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Une étude menée à l’occasion du mois de novembre a révélé une incidence élevée du cancer de la prostate au sein de la population gabonaise masculine dépistée, (8,1% dans un échantillon) avec une prédominance des formes métastatiques avancées, lors du diagnostic.
Ce constat alarmant signifie que beaucoup d’hommes n’arrivent à l’hôpital qu’à un stade où les options de traitement sont plus lourdes et les chances de guérison réduites. « Les hommes viennent souvent quand il est trop tard, quand les douleurs sont déjà insupportables », confie Dr Patrick Mba, urologue. « Beaucoup craignent le regard des autres, ou trouvent indécent qu’on leur parle d’examens comme le toucher rectal », a t-il ajouté.
Cette réticence, ancrée dans les mentalités, révèle un tabou profond autour du corps masculin et du dépistage. Au Gabon, parler de santé intime demeure un sujet presque honteux, même au sein de la famille. « Mon mari disait toujours : je ne suis pas malade, je suis un homme fort », raconte Anita, veuve d’un ancien fonctionnaire décédé d’un cancer de la prostate, diagnostiqué trop tard. « Quand il a enfin accepté de se faire dépister, c’était déjà au stade terminal », a-t-elle confiée.
Cette histoire, malheureusement, n’est pas isolée. Selon plusieurs urologues, près de 70 % des cancers de la prostate détectés au Gabon le sont à un stade avancé, alors qu’un dépistage précoce permettrait dans la plupart des cas une prise en charge efficace.
Le toucher rectal, examen simple mais indispensable au dépistage du cancer de la prostate, est souvent au cœur du malaise. « Certains hommes refusent catégoriquement cet examen, car ils le jugent humiliant ou contraire à leur virilité », explique le docteur Mba. « Pourtant, il ne dure que quelques secondes et peut sauver une vie ».
La désinformation et la gêne prennent souvent le dessus sur la raison. Sur les réseaux sociaux, des blagues et des préjugés autour de l’examen alimentent encore la peur. Résultat des milliers d’hommes passent à côté d’un dépistage qui pourrait leur sauver la vie.
Les campagnes Novembre Bleu, lancées chaque année par le ministère de la Santé et plusieurs associations, tentent de briser ce mur de silence. Mais la mobilisation reste insuffisante.
« On parle beaucoup d’Octobre Rose pour les femmes, mais Novembre Bleu ne suscite pas encore la même adhésion », regrette un compatriote. « Les hommes ne se sentent pas concernés, et pourtant ils sont les plus exposés »
Pour les spécialistes, il faut parler autrement aux hommes, les informer sans juger, et multiplier les initiatives de dépistage communautaire.
« Le combat n’est pas seulement médical, il est culturel. Il faut déconstruire cette idée selon laquelle se faire dépister, c’est admettre sa faiblesse mais plutôt le considérer comme un un acte de courage et de responsabilité», souligne la psychologue Aline Mouketou.
Le combat contre le cancer et les maladies masculines n’est pas celui d’un seul homme, mais celui d’une nation et de chaque famille gabonaise. Alors que les cliniques ouvrent leurs portes, la balle est désormais dans le camp des hommes. Pour leurs épouses, leurs enfants, et pour l’avenir de leur santé, il est urgent de transformer la pudeur en proactivité.
Si la campagne Octobre Rose a su mobiliser les femmes, celle de Novembre Bleu doit désormais inspirer les hommes à s’affranchir des carcans culturels. En allant se faire dépister, l’homme gabonais ne fait pas que se soigner, il réinvente positivement sa masculinité.

