Statut professionnel non considéré, conditions de travail dégradées, établissements sous-équipés et dialogue social en panne, au Gabon, les enseignants tirent la sonnette d’alarme. Pilier du système éducatif, ce corps professionnel vit une crise sans précédent qui chaque année mets à mal l’avenir des futurs dirigeants du pays.
Depuis plusieurs années, la situation des enseignants gabonais ne cesse de se détériorer. Dans le primaire, le secondaire comme dans l’enseignement supérieur, les mêmes maux reviennent avec insistance : retards d’intégration, primes impayées, carrières bloquées et manque criard de moyens pédagogiques. « Pour certains, ça fait plus de 15 ans qu’ils travaillent et sont stagiaires. Ils n’ont pas le salaire qui correspond à leur durée. Plusieurs d’entre eux attendent des reclassements », a déclaré Alain Mogouadi, conseiller pédagogique et ancien délégué général de la Conasysed. Il y en a qui sont déjà des conseillers pédagogiques et qui sont encore au grade de professeurs adjoints. Pour beaucoup, enseigner est devenu un acte de résistance, tant les difficultés quotidiennes pèsent sur le moral et la dignité professionnelle.
Au cœur de la crise, la question salariale demeure centrale. Des enseignants rapportent des mois d’arriérés, des régularisations qui tardent et des situations administratives non clarifiées. « Il existe des enseignants qui exercent déjà les fonctions de conseillers pédagogiques, bien qu’ils soient toujours au grade de professeur adjoint », a-t-il renchéri. Cette instabilité financière plonge de nombreuses familles dans la précarité, obligeant certains à multiplier les activités parallèles pour survivre, au détriment de la préparation des cours et du suivi des élèves.
Les conditions de travail accentuent ce malaise. « Il y a une sorte de désastre dans le fonctionnement de notre système éducatif. Il y a eu l’introduction de l’APC au niveau 5e, 6e, 4e. Les établissements n’ont pas les ressources pour permettre à l’APC de se faire normalement. Les enseignants ne sont pas formés pour la prise en charge de cette APC », a-t-il souligné. Dans plusieurs établissements, les salles de classe sont surchargées, parfois sans tables suffisantes ni manuels à jour. L’accès aux outils numériques reste limité, rendant difficile l’adaptation aux méthodes pédagogiques modernes. En zones rurales, l’isolement, le manque de logements décents et l’insuffisance des infrastructures découragent les affectations et favorisent l’absentéisme contraint.
Face à ces réalités, les mouvements de grève se sont multipliés. Les syndicats dénoncent l’inaction des autorités et l’absence d’un dialogue social sincère et durable. « Depuis plusieurs années, les syndicats dénoncent le fait que les vacations ne sont payées qu’après des contestations et des revendications. Nous estimons qu’une telle situation n’est pas de nature à instaurer un climat de sérénité au sein de notre administration » a-t-il révélé. Chaque arrêt de travail perturbe l’année scolaire, accentue les retards dans les programmes et fragilise davantage les élèves, premières victimes d’une crise qu’ils ne maîtrisent pas.
L’impact sur la qualité de l’enseignement est préoccupant. Démotivation, fatigue et sentiment d’abandon minent l’engagement des enseignants. « Lorsque le coup de la libération est arrivé, les enseignants ont espéré et pensé qu’une des priorités des nouvelles autorités devait être la régulation des situations administratives pour permettre à chacun de restaurer et de vivre dignement », a-t-il affirmé. À long terme, c’est la formation des ressources humaines du pays qui est en jeu, dans un contexte où le Gabon cherche à diversifier son économie et à renforcer son capital humain.
Pour sortir de l’impasse, les acteurs du secteur appellent à des mesures urgentes et structurelles : apurement des arriérés, réforme de la gestion des carrières, investissements ciblés dans les infrastructures scolaires et relance d’un dialogue social crédible. « Il y a, à mon avis, des choses qui sont déjà connues, des solutions qui sont connues. Il suffit tout simplement que ceux qui ont la charge de gérer notre système éducatif se réunissent pour voir comment les solutions peuvent être apportées progressivement », a-t-il déclaré
Redonner aux enseignants des conditions de travail dignes, c’est investir dans l’avenir. Car sans enseignants respectés et soutenus, l’école gabonaise ne pourra remplir sa mission. La crise actuelle n’est pas seulement corporatiste ; elle est nationale. Et elle exige des réponses à la hauteur des enjeux.

