Le rappeur M.O.R, figure incontournable du hip-hop gabonais, signe un retour fracassant avec « Moukou Y’a Pindi », un titre percutant qui secoue la scène musicale africaine.
Dévoilé le 1er février dernier, son clip a immédiatement enflammé la toile, atteignant plus de 230 000 vues sur YouTube en seulement quelques jours. Originaire de Nzeng-Ayong, situé dans le 6e arrondissement de Libreville, le rappeur confirme une fois de plus son statut de poids lourd du rap gabonais.
Avec ce single, il parvient à mêler modernité et identité culturelle, prouvant l’authenticité de son art. Celui qui se fait appeler le « crack » ou encore « spartiate » revient sur son dernier clip, son parcours et ses ambitions dans une interview exclusive.
Gabon 24 : Vous avez récemment dévoilé le single « Moukou Y’a Pindi », que signifie ce titre ?
M.O.R : Moukou Y’a Pindi est un terme de la langue nzebi. Il signifie tout simplement « le fantôme » ou « le gardien de la forêt ».
Gabon 24 : Ce clip, sorti il y a une dizaine de jours, cumule déjà plus de 230 000 vues. Quelle a été la recette de cette œuvre ? De quoi vous êtes-vous inspiré ?
M.O.R : Je suis quelqu’un de très incisif dans mon rap, j’aime tout ce qui est percutant. Mais comme nous ne sommes pas nombreux dans le rap au Gabon en ce moment, j’ai eu l’idée de relier l’ancienne et la nouvelle génération avec un mélange de culture urbaine et traditionnelle.
Cela permet de ramener les jeunes générations et les anciens aux sources. Mon équipe et moi avons remarqué que la musique au Gabon partait dans tous les sens et avait tendance à ne plus respecter les mœurs et les valeurs familiales que nos ancêtres nous ont transmises.
Je me suis dit : pourquoi ne pas essayer de créer un pont entre les deux générations, en partant du fait que la nouvelle génération est surtout axée sur le côté urbain, tandis que l’ancienne est plus attachée aux rites ancestraux ? Nous avons donc créé une sorte de « cocktail Molotov » pour essayer de mettre tout le monde d’accord et satisfaire tous les gabonais.
Gabon 24 : Au début du clip, un avertissement indique que « ceci n’est pas une mise en scène, nous vous transportons en plein cœur de la forêt au cours d’une initiation ». Avez-vous réellement filmé une cérémonie d’initiation pour votre clip ou est-ce une mise en scène ?
M.O.R : Non, ce n’est pas une mise en scène. Ceux qui sont initiés comprendront, et ceux qui ne le sont pas comprendront aussi. Il y a une part d’art, une part de tradition et une part de réalité. Comme il s’agit d’un clip, nous ne pouvons pas dévoiler tous les secrets. Mais une chose est sûre : ce qui a été fait correspond à la réalité.
Pour tous les peuples bantous qui nous suivent, ce sont des peuples qui, avant d’aller en guerre, se préparent en faisant des rituels pour recevoir la bénédiction des ancêtres, la force et être prêts à combattre les ennemis.
Gabon 24 : Toujours dans cet avertissement, vous parlez du rite Dissumba Bwiti de la tradition gabonaise. De quoi s’agit-il et pourquoi ce choix ?
M.O.R : J’ai fait ce choix parce que le Dissumba, pour ceux qui le savent, représente la mère. Mais je ne peux pas m’étendre sur le sujet de peur de manquer de respect aux initiés. Disons simplement que c’est un rite essentiel dans la tradition gabonaise.
Gabon 24 : Parlons maintenant de votre carrière. Quels sont les artistes qui vous ont inspiré ?
M.O.R : Il y en a tellement ! Au départ, j’écoutais surtout du rap français. J’ai été influencé par la plupart des rappeurs français et, dans mon quartier, j’avais des grands frères qui rappaient déjà. Je vais citer Shad’M, La Morsure, Satan Mc, Lil Thérence, pour ne citer qu’eux.
Gabon 24 : Au début de votre carrière, vous pratiquiez la danse et les arts martiaux. En 2003, vous avez même remporté des concours de danse. En 2009, vous créez votre propre groupe, R.O 6 Zone. Pouvez-vous nous parler de cette période ?
M.O.R : J’ai créé ce groupe, qui est devenu un clan par la suite, parce qu’il y avait des problèmes de zones à Nzeng-Ayong, le plus grand quartier de Libreville. Il y avait des conflits liés à la musique et au football. Et comme nous étions souvent en rivalité, j’ai décidé de créer R.O 6 Zone pour rassembler les différentes zones, car nous sommes tous de la même famille.
R.O 6 Zone signifie « Ruelles organisées du 6ème arrondissement ». Mais, lorsque nous avons déposé la marque pour élargir notre public, nous avons changé la signification pour « Rappeurs originaires du 6ème arrondissement ». Le chiffre 6 fait également référence au 6ème sens.
Gabon 24 : En 2010, vous remportez la compétition de rap Street Fighter. Cette compétition vous a-t-elle propulsé sur le devant de la scène rap au Gabon ?
M.O.R : Je viens d’un milieu où le rap n’était pas vraiment médiatisé, mais où il était surtout basé sur des valeurs, des principes et l’accomplissement personnel. À l’époque, nous ne comptions pas sur un « grand frère » pour nous propulser. Il fallait faire ses preuves dans l’arène et devenir le champion. J’ai fait mes preuves et j’ai été sacré champion Street Fighter en 2010 et 2011.
Cela m’a apporté le respect et une notoriété dans la rue, car le Street Fighter, ce sont des battles de rue où se retrouvent l’élite, la crème de la crème, et surtout ceux qui ne sont pas encore connus. Le titre de champion Street Fighter m’a ouvert les portes du monde du rap underground.
Gabon 24 : En 2016, vous disparaissez de la scène et vous dites avoir été accusé à tort de vandalisme. Pouvez-vous nous expliquer ce qui s’est passé ?
M.O.R : Quand vous êtes une référence dans votre quartier, vos faits et gestes sont scrutés. Si d’autres personnes causent des troubles et disent être avec vous, on vous tient automatiquement pour responsable. J’ai donc été accusé d’avoir saccagé des magasins en 2016, alors que j’ai simplement manifesté comme beaucoup d’autres. Le problème, c’est qu’on a voulu me faire porter le chapeau et cela m’a valu un exil du côté de mon village.
Gabon 24 : Après cette période, vous revenez avec le titre M.I.F (Matière Inflammable) sous le label Mapane Lifestyle. Pouvez-vous nous parler de cet album ?
M.O.R : M.I.F est mon premier street album. Au départ, il devait contenir 50 titres, mais nous en avons sorti 24, car un album dure entre 80 et 120 minutes. Avec Mapane Lifestyle, nous avons organisé une grande conférence de presse et des concerts. Je l’ai mis en ligne gratuitement, alors allez l’écouter !
Gabon 24 : En 2023, vous remportez le Battle Acappella, une nouvelle consécration. Quel regard portez-vous sur votre carrière ?
M.O.R : Je suis très fier de mon parcours. Tout ce que je souhaite, c’est que le hip-hop gabonais se développe. Je voudrais dire au ministère de la Culture que le rap gabonais existe et que nous sommes prêts à collaborer avec tous ceux qui souhaitent faire avancer cet art.
Gabon 24 : Quels sont vos projets pour la suite ?
M.O.R : Nous prévoyons d’organiser l’un des plus grands concerts de rap au Gabon avec tous les acteurs culturels qui sont prêts à collaborer avec nous pour le développement du rap gabonais. Un album est également en préparation, restez connectés ! C’est la guerre !